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Tag - Paul De Grauwe

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mercredi 13 juillet 2016

L’UE doit prendre le parti des perdants de la mondialisation



« Comment l’Union européenne doit-elle réagir à la décision du peuple britannique de la quitter ? C’est la question qui est au cœur du débat politique en Europe. Pour tenter d'y répondre, il faut partir du constat que la population a une très mauvaise image de l’UE aujourd’hui, non seulement au Royaume-Uni, mais aussi dans d’autres pays de l’UE, ce qui se traduit par une insatisfaction vis-à-vis du projet européen. Selon moi, cette insatisfaction est liée à l’incapacité de l’UE à mettre en place un mécanisme qui protège les perdants de la mondialisation. Pire, l’UE a réduit la capacité des gouvernements nationaux à endosser le rôle de protecteur, alors que très peu de choses ont été faites au niveau européen pour créer un tel mécanisme.

Le libre-échange crée une incroyable dynamique d’innovation et de prospérité matérielle. Cette prospérité ne bénéficie toutefois pas à tout le monde. Beaucoup voient leur situation s’améliorer grâce à la mondialisation, mais ce n’est pas le cas des autres. Certains voient leur bien-être décliner parce qu’ils perdent leur emploi ou parce que leurs revenus chutent. Comme la mondialisation crée du bien-être matériel dans les pays qui y participent, il est en principe possible de compenser les perdants de la mondialisation. C’est l’argument que la plupart des économistes estiment suffisamment robuste pour défendre la mondialisation. Mais il y a d’importants obstacles politiques qui empêchent l’organisation d’une redistribution au bénéfice des perdants de la mondialisation. C’est un problème dans la plupart des pays industrialisés, mais il est particulièrement aigu dans l’UE.

Les institutions européennes font désormais partie des principales promotrices de la mondialisation. Le marché unique et les accords commerciaux conclus par la Commission européenne ont largement ouvert les portes de l’Europe à la mondialisation. Il n’y a rien de mauvais en soi avec cela. Sauf qu’il y a un échec complet en ce qui concerne la compensation nécessaire des perdants de la mondialisation. Les institutions européennes n’ont pas de pouvoir sur la politique sociale, qui reste entre les mains des gouvernements nationaux. Malheureusement ces dernières ont été liées par les règles budgétaires imposées par les institutions européennes.

Les règles budgétaires européennes n’ont pas seulement compliqué la compensation des perdants de la mondialisation. Elles ont accru les difficultés des perdants de la mondialisation. Depuis plus de cinq ans, la commission européenne a poussé tous les pays-membres de la zone euro dans l’austérité. Cette dernière a entraîné une stagnation économique et accru le chômage, principalement chez les catégories déjà frappées par la mondialisation. Il n’est pas surprenant que plusieurs tournent le dos aux institutions européennes qu’ils perçoivent comme froides et prêtes à punir, alors mêmes que des millions de personnes vivent dans la souffrance.

Il n’y a pas que les règles budgétaires qui ont une responsabilité dans le rejet de l’UE par des millions de personnes : il y a aussi les réformes structurelles imposées par ces mêmes institutions européennes. Les responsables politiques européens ont adopté le discours néolibéral. Selon ce dernier, les travailleurs doivent être flexibles (comprenez : ils ne doivent pas être insatisfaisants lorsque leurs salaires chutent, lorsqu’ils peuvent être immédiatement licenciés et lorsqu’ils sont moins indemnisés au chômage). Les responsables politiques néolibéraux qui dominent maintenant l’UE prêchent que la sécurité sociale est improductive et doit être réduite. Ces politiques sont appelées avec euphémisme "réformes structurelles". Elles sont imposées à des millions de personnes, principalement les perdants de la mondialisation, aussi bien par les institutions européennes que par les gouvernements nationaux.

Le problème de l’UE aujourd’hui est le suivant. Au lieu d’aider ceux qui souffrent de la mondialisation, elle a contribué à mettre en place des politiques qui détériorent encore davantage la situation de ces personnes. Il n’est pas surprenant que les perdants se révoltent. Si l’UE continue avec l’austérité et les réformes structurelles, la révolte se généralisera et conduira à une multiplication des sorties de l’UE. Il est temps que l’UE prenne le parti des perdants de la mondialisation au lieu de se contenter de mettre en œuvre des politiques qui ne bénéficient principalement qu’aux gagnants de la mondialisation.

Cela peut être fait de deux manières. La première consiste à arrêter d’imposer des réformes structurelles aux Etats-membres. L’argument pour ces réformes structurelles a été qu’elles stimuleraient la croissance économique et qu’elles profiteraient à tout le monde. Les preuves empiriques d’un lien positif entre réformes structurelles et croissance économique est cependant assez faible. Les récentes analyses économétriques des pays de l’OCDE échouent à mettre en évidence que les réformes sur le marché du travail et les marchés des produits stimulent la croissance économique ; cf. l’analyse réalisée par le FMI (2015), dans l’encadré 3.5 de ses Perspectives de l’économie mondiale, et l’analyse que j’ai récemment réalisée avec Ji.

Par contre, ces mêmes études constatent que l’investissement, tant public que privé, a un fort lien positif avec la croissance économique. Ce résultat nous suggère ainsi un second changement que les autorités européennes doivent apporter à leurs politiques économiques. En l’occurrence, elles doivent stimuler l’investissement public. Ce dernier a souffert des sévères dommages collatéraux associés aux programmes d’austérité mal conçus imposés par les institutions européennes.

Un accroissement de l’investissement public n’est toutefois possible que si l’on change le pacte budgétaire européen qui impose un équilibre budgétaire structurel aux Etats-membres de la zone euro. En conséquence de ce pacte budgétaire, l’investissement public ne peut être financé que par les recettes courantes. Peu de règles aussi destructives pour la croissance économique ont été imposées dans le passé. Lorsque les politiciens se voient dire que le coût de l’investissement public doit être pleinement soutenu par les contribuables (électeurs) actuels, tandis que les bénéfices vont accroître aux futurs contribuables (électeurs), il n’est pas surprenant qu’il y ait peu d’incitations politiques à s’engager dans l’investissement public. C’est ce qui se passe aujourd’hui. Grâce à une règle mal conçue, l’investissement public dans la zone euro est à un niveau historiquement faible.

On entend souvent dire qu’une nouvelle hausse de la dette publique ne peut que rendre insupportable le fardeau d’endettement de nos enfants. Cette critique confond dette nette et dette brute. Lorsque des investissements publics productifs sont entrepris en émettant des obligations publiques, nos enfants vont hériter à la fois d’actifs productifs et d’obligations publiques. Aujourd’hui le coût d’émission d’obligations publiques est proche de zéro dans plusieurs pays européens. Si les gouvernements investissaient dans des actifs productifs qui ont un rendement plus élevé que zéro, nos enfants vont hériter d’actifs qui créent des recettes excédant le coût d’emprunt. Par conséquent, leur fardeau de dette nette va décliner. Ils ne vont pas comprendre pourquoi nous n’avons pas accru l’investissement public lorsque l’emprunt était si peu coûteux.

Je suis en faveur d’un surcroît d’intégration politique en Europe. Mais aujourd’hui les grands projets pour assurer "plus d’Europe" doivent être remis à plus tard. Les politiciens européens devraient avant tout changer leurs politiques économiques et, par là même, montrer que l’UE est à même d’améliorer le bien-être, même celui des perdants de la mondialisation. »

Paul De Grauwe, « The EU should take the side of the losers of globalization », in Ivory Tower (blog), 1er juillet 2016. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« L’héritage de l’austérité »

« La zone euro est-elle aujourd’hui moins fragile ? »

« Flexibilité versus stabilité : le dilemme de la zone euro »

jeudi 2 juillet 2015

Règles budgétaires, stabilité financière et zones monétaires optimales

« La théorie des zones monétaires optimales nous enseigne qu’en l’absence de flexibilité des marchés du travail (en l’occurrence, flexibilité des salaires et mobilité des travailleurs), les chocs asymétriques doivent être gérés par la flexibilité des politiques budgétaires nationales. Si ces politiques budgétaires sont contraintes par des règles, alors les pays auront une capacité limitée pour gérer les chocs asymétriques. Nous pouvons alors en conclure que l’union monétaire sera sous-optimale.

Avant qu’éclate la crise de la dette souveraine, l’idée que l’union monétaire ne soit pas optimale fut considérée comme peu d’importance au niveau pratique. Elle était perçue comme un concept purement académique, sans implications dans le monde réel. Cependant la récente crise de la dette souveraine a rendu évident que la sous-optimalité dans l’union monétaire a pourtant de profondes implications réelles. Nous comprenons maintenant qu’une union monétaire non optimale peut générer de l’instabilité financière et conduire à un effondrement de l’intégration des marchés financiers au sein de l’union monétaire. (…) En effet, lorsqu’un choc asymétrique survient et lorsque les politiques budgétaires nationales sont contraintes, alors les participants aux marchés financiers vont anticiper des problèmes d’ajustement. Si ces problèmes sont perçus comme sévères, une crise autoréalisatrice peut éclater, amenant les économies à un mauvais équilibre. Ce dernier se caractérise par de larges sorties de capitaux, par une hausse des primes de risque sur les obligations publiques et par une profonde récession qui détériore davantage les finances publiques. Cela va aussi avoir pour conséquence une segmentation des marchés financiers, avec de larges écarts de taux d’intérêt au sein même de l’union monétaire.

Ce que nous venons de dire suggère qu’en présence de chocs asymétriques, des règles budgétaires rigides sont incompatibles avec l’intégration financière et la stabilité financière. Autrement dit, il semble y avoir un arbitrage entre les règles budgétaires, l’intégration financière et la stabilité financière. Le lecteur habitué à la littérature sur les "triangles d’incompatibilités" en découvre un nouveau : en présence de chocs asymétriques, une union monétaire ne peut à la fois suivre des règles budgétaires, préserver stabilité financière et connaître une intégration financière.

Dans cette étude, nous analysons empiriquement si un tel arbitrage (triangle d’incompatibilités) existe dans la zone euro. Une telle analyse empirique est importante car elle éclaire le besoin qu’il y a à améliorer les règles budgétaires dans la zone euro. Ces règles ont été resserrées depuis la crise de la dette souveraine, puisque les décideurs politiques pensaient qu’une union monétaire nécessite une plus forte discipline budgétaire. La question demeure si un tel resserrement des règles budgétaires fut la bonne réponse à la crise de la dette souveraine. (…)

Nous constatons qu’un tel arbitrage existe dans la période consécutive à la crise, mais pas dans la période précédant la crise financière. Notre interprétation de ce résultat est le suivant. Il existe deux régimes dans une union monétaire. Lorsque la confiance en la stabilité de la zone euro prévaut, alors les chocs asymétriques génèrent des mouvements de capitaux stabilisateurs. Il n’est alors pas nécessaire de s’appuyer sur la flexibilité des politiques budgétaires pour faire face à ces chocs asymétriques. Les marchés des capitaux prennent en effet en charge le rôle de stabilisation et les mouvements de capitaux sont un facteur stabilisateur.

Cependant, lorsque les agents ne croient plus en l’optimalité de l’union monétaire, alors les marchés financiers perdent leur confiance en sa soutenabilité, si bien que les règles budgétaires, la stabilité financière et l’intégration financière deviennent incompatibles entre elles. Si c’est le cas, la flexibilité budgétaire est nécessaire pour maintenir la stabilité financière et l’intégration financière. Donc nous pouvons conclure que les règles budgétaires qui ont été introduites dans la zone euro après l’éclatement de la crise de la dette souveraine ont réduit la capacité des gouvernements nationaux à faire face aux chocs asymétriques et devinrent incompatibles avec la liberté des mouvements de capitaux et la stabilité financière. »

Paul De Grauwe et Pasquale Foresti, « Fiscal rules, financial stability and optimal currency areas », CESIFO, working paper, n° 5390, juin. Traduit par Martin Anota



aller plus loin...

« La crise européenne de la dette souveraine a-t-elle été auto-réalisatrice ? »

« Dans la tête des juges de Karlsruhe (ou comment l'Allemagne a paralysé la BCE) »

« La zone euro est-elle aujourd’hui moins fragile ? »

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